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LA MAISON DES BORIES

J’ai planté des gris maraîcher, parce que c’est les meilleurs. (Si tu disais plutôt, je trouve que ce sont les meilleurs, parce que c’est moi qui les ai plantés, tu serais plus près de la vérité.) Il y a aussi des œillets rouges « tige de fer », que maman aime bien, des œillets d’Inde et du réséda. Il y a des choux de Milan et des choux cabus qui sont pleins de rosée le matin, quand le soleil se lève derrière les pommes de terre (quand tu rencontreras un astronome, Laurent, tu feras bien de lui apprendre que le soleil se lève derrière les pommes de terre). Sur le plus beau des choux je vois une chenille à poils (un ban pour la chenille à poils ! ) qui se promène et je sais qu’elle mange les feuilles et je pense : « La chenille se fiance au chou pour mieux lui ronger le cœur ». (Ça, alors c’est du génie ou je ne m’y connais pas. N’est-ce pas, Isabelle  ?) »

Isabelle ne répondit pas et Amédée continua dans un silence de mort :

— Passons maintenant à l’arithmétique. L’arithmétique est notre triomphe, je dois vous le confesser en toute modestie, monsieur Kürstedt. Voyez : six divisions fausses sur sept et un problème juste sur six. Cette proportion m’enchante. N’ai-je pas lieu d’être fier d’avoir mis au monde un enfant si brillant ?

« Dis-moi, Laurent, si tu me regardais un peu au lieu de regarder ta mère ? Laurent, tu m’as compris ? »

Isabelle reporta son regard sur son mari et Laurent tourna la tête. Pendant quelques instants, le père et le fils parurent se mesurer. M. Durras avec son dur visage taillé dans la craie, sa barbe sombre, le bleu verdissant de ses yeux, couleur de sulfate de cuivre. Laurent avec ses joues sanguines, son nez court, son regard abrupt, et cet air de chaleur répandu sur toute sa personne et qui pouvait aussi bien dévaster que réchauffer.

— Tu n’as pas honte ! demanda brusquement