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LA MAISON DES BORIES

moue sérieuse et tendre, une joue maigre, consumée…

Et cette petite fille, avec sa mixture et sa bille d’agate ! Cette étrange petite fille nocturne, qui apparaît, disparaît… C’est comme un rêve, délicieux, profond, angoissant, insolite. C’est un de ces moments de la vie où l’on perçoit le grondement, le mystère de l’océan qui vous ballotte et vous emporte où il veut.

Il étouffait. Impossible d’écrire, impossible de dormir. Cela dépassait les mots, cela se refusait au sommeil.

Ouvrir la fenêtre. Et la montagne surgit, énorme et noire. Et le bruit de marée du vent dans les sapins et le chemin de ciel, là-haut, avec son gravier d’astres. Comme tout est pareil et comme tout est changé !



— Monsieur Kürstedt, avez-vous déjà vu un phénix ?

On prenait le café, dans les petites tasses turques. Les enfants n’en prenaient pas, mais ils attendaient sagement qu’un signe d’Isabelle leur eût donné la liberté.

À la question de M. Durras, Laurent s’agita sur sa chaise, Carl-Stéphane leva un visage surpris, Isabelle, silencieuse, pesa de tout son regard sur le regard de son mari. Elle savait ce qui allait suivre, — mais il était impossible de l’arrêter, trop d’exaspération couvait en lui depuis quelques jours, — parce que Carl-Stéphane avait vanté imprudemment les enfants, parce qu’il s’en occupait trop et parce que les enfants adoraient Carl-Stéphane. C’était une fatalité de la nature d’Amédée qu’il souffrît férocement de se voir préférer quelqu’un et fît toujours le contraire de ce qu’il fallait pour gagner l’affection. Il faisait penser à un animal pris au piège qui tire sur le lacet et s’étrangle un peu plus à chaque sursaut, au lieu de revenir en arrière pour se dégager.