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LA MAISON DES BORIES

Les rats dans le grenier faisaient un bruit incessant de bobines roulées, un sabbat de bobines de bois, affolées par le clair de lune.

Quand la respiration de la petite fille eut pris le rythme du sommeil, Isabelle sortit doucement, monta l’escalier, pieds nus, entra dans la chambre carrelée.

Les deux enfants dormaient sous une nappe de clarté. Laurent faisait la moue, comme lorsqu’il dessinait, avec la même expression d’abandon apparent et d’attention profonde, mais ses longs cils exactement joints dessinaient la courbe du parfait repos. La lumière lunaire était si crue qu’on pouvait distinguer comme en plein jour la teinte brune qui fardait naturellement ses paupières et les prolongeait vers les tempes comme un trait de sépia. Lise esquissait encore le geste de le tenir par le cou, mais ses mains avaient lâché prise et son bras potelé, laiteux, chargeait d’un poids léger la poitrine de son frère. L’ombre d’un sourire creusait encore la fossette de sa joue et elle avait l’air d’écouter, toute endormie, ce que lui racontaient ses boucles.

Isabelle ne pouvait se rassasier de les regarder tous les deux, lavés de clarté, reposant dans leur beauté de fleur, dans leur nacre. Une sensation indéfinissable l’envahissait. Elle avait l’impression de les découvrir comme dans un conte oriental ou une légende grecque. Ils représentaient quelque chose de précieux, d’unique, que toutes les puissances de la nature avaient contribué à former. Ils étaient la perle marine, l’or et le sel gemme, Amour et Psyché. Ils s’étaient lentement formés en secret, loin de tout, cachés à tous les yeux, recouverts pendant des lustres et des lustres par les puissances murmurantes qui travaillaient à leur achèvement et quand l’heure était venue, les puissances murmurantes s’étaient retirées pour qu’elle vînt les découvrir, au fond. Au fond de quoi ? Au fond de tout. Au fond de la