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LE RAISIN VERT

dites-moi que Pignardol est un pauvre être sans méchanceté, nous en tomberons d’accord. Mais qu’il soit quelqu’un, ça, non.

— C’est tout ? demanda Amédée. Je puis parler ? Bon.

Primo : Je me flatte d’être exempt de préjugés sociaux.

Secundo : L’amitié que Pignardol a pour moi est une chose indiscutable, je dirai même, touchante. Que l’expression de cette amitié vous paraisse excessive, c’est une autre affaire, mais chacun manifeste ses sentiments comme il l’entend.

Tertio : Je renonce à éclaircir si Pignardol représente pour vous un chien, un hanneton ou un chaînon. Pour moi, Pignardol est un garçon fort honorable et un excellent chimiste. Un point, c’est tout.

À quelque temps de là, lorsque Pignardol fit part à son nouvel ami des projets qu’il avait en tête, M. Durras se garda bien d’en parler à sa femme, dont la prévention l’avait rebuté.

C’est peut-être à cause de cette prévention même qu’il témoigna au chimiste une sympathie et une confiance dont la démonstration outrepassait ses véritables sentiments, jusqu’au jour où, ces sentiments ayant subi à leur tour l’influence de la démonstration, M. Durras se trouva engagé très avant dans l’amitié de Pignardol et dans ses affaires.

Il s’agissait de lancer dans le commerce des produits de beauté et des parfums dont Pignardol était l’inventeur et le fabricant. Des précédents notoires autorisaient le chimiste à déclarer qu’il y avait là « de quoi ramasser de l’argent à la pelle ».

M. Durras ne demandait pas mieux que de l’entendre dire. Il passait de longues heures dans le laboratoire du chimiste, au fond d’un pavillon délabré de l’avenue d’Italie. Pignardol parlait sans discontinuer,