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LE RAISIN VERT

service, car le temps m’aurait manqué pour négocier ces pierres à leur juste valeur… »

— Eh ! bien, mon amie, qu’en dites-vous ? Ai-je perdu mon temps ?

Isabelle releva ses grandes paupières, dévoilant une pupille de chat, rétrécie par une singulière nervosité :

— Mon ami, dit-elle, je ne suis pas lapidaire. Vous non plus. Il me semble pourtant que si ces pierres valaient six mille francs, leur propriétaire en aurait facilement trouvé deux mille chez un prêteur sur gages. Et si elles valent six mille francs et qu’il n’ait pu cependant les vendre que deux mille, comment pouvez-vous espérer être plus habile que lui ?

— Mais vous ne comprenez donc rien ! s’écria Amédée, qui s’était mis à arpenter fébrilement la pièce. Je vous dis que ce pauvre garçon était affolé. Il venait de recevoir une dépêche de Rotterdam : « Mère mourante. Venez urgence. »

— Vous avez vu le télégramme ?

— Oui, dit triomphalement Amédée.

— Vous savez donc le hollandais ?

— Il était rédigé en français.

— Tiens ! remarqua Isabelle, ce télégramme envoyé de Rotterdam à un Hollandais était rédigé en français ? Curieux, curieux…

Au fond des prunelles bleues d’Amédée, il y eut un chancellement, un naufrage, et la plus furieuse colère balaya tout.

Quand il fut avéré que les pierres ne valaient pas trois cents francs, Isabelle vérifia pour son compte cet axiome bien connu qu’il n’est pire tort que d’avoir raison. Elle avait beau se taire, son silence même constituait une offense. De son côté, M. Durras se demandait quel être humain aurait pu supporter le silence d’Isabelle sans devenir enragé, car il était chargé, ce silence, d’une telle puissance de mémoire