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LE RAISIN VERT

— Hé ! s’écria Nina avec un rire un peu forcé, c’est le petit bouchan ! Tou vas nous dire une fable.

Sans se faire prier, Lise grimpa sur la table, parmi les chaises amoncelées. De son observatoire, elle dominait toute la salle, en longueur. M. Durras et Nina sortirent de leur retraite et vinrent se placer devant elle, et Lise fut un peu vexée de constater que l’attrait de sa récitation les animait beaucoup moins que leur entretien de tout à l’heure. Allons, il fallait les dégeler.

— Que voulez-vous que je vous récite ? proposa-t-elle avec empressement. Les fables, c’est un peu enfantin. Je puis vous dire du Victor Hugo, du Lamartine, du Desbordes-Valmore, du François Coppée, du Mme Amable Tastu, ou… ou… ou du mien, acheva-t-elle en rougissant d’espoir :

— Comment ! s’écria Nina, tou composes des vers ? Cela est vrai, monsieur ?

— Peut-être bien, dit M. Durras en haussant les épaules. Elle en lit tellement… les enfants ne vivent que par imitation.

L’entrain de Lise chancela sous ce jugement catégorique. Elle se raccrocha du regard au visage de sa mère, qui lui souriait de loin. Laurent était revenu s’asseoir à côté d’elle. Il adressa à sa sœur une petite grimace dégoûtée qui lui fit déborder le cœur tant elle y déchiffrait d’affection, et elle agita gaiement la main par-dessus les têtes, vers cette patrie lointaine, comme pour dire : « Je suis en voyage chez les Infidèles, mais je reviendrai ! » Et le Corbiau, qui était assis de l’autre côté d’Isabelle, se leva et se dirigea vers la table, sans doute pour lui prêter renfort.

— Voici votre fille aînée, dit Nina. Elle est janntille. Je l’aime fort. N’est-ce pas, mosquito de mon cœur ?

— Ce n’est que ma nièce, celle-là, corrigea M. Durras. Mets-toi là, petite. Allons, Lise, nous attendons le bon plaisir de l’authoresse.