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LE RAISIN VERT

petits pieds mimèrent dans l’espace un rapide combat de colombes amoureuses. En face d’elle, M. Jasmyn voulut s’élever aussi, mais au lieu de quitter le sol, il tomba sur les genoux et demeura là, haletant, appuyé sur sa main, comme sur une béquille.

Nina éclata d’un rire aigu : « Il est tommbé ! Il est tommbé ! » et tandis qu’on s’empressait autour du professeur, elle se perdit, couleuvre, dans la foule en mouvement.

Isabelle se tourna vers Amédée :

— Elle l’a fait exprès, dit-elle à mi-voix. Elle est méchante.

— Allons donc ! répliqua M. Durras. C’est une gamine. Elle ne s’est pas rendu compte de ce qu’elle faisait.

— Je vous dit qu’elle l’a fait exprès. Je l’ai observée pendant qu’elle dansait. Il y avait dans son œil une joie infernale, à mesure qu’il perdait pied. Je vous dis qu’elle est méchante. C’est un petit oiseau sanguinaire, une mésange. Qu’y a-t-il de plus joli que la mésange bleue ? Et de plus féroce ?

— Teûh… Teûh… Teûh… fit M. Durras en haussant les épaules. Elle a dansé trop vite et voilà tout. Tant pis pour le barbon, aussi, on ne se mêle pas de danser le fandango avec un pareil feu grégeois quand on a l’âge de la retraite. Tonnerre ! quel tourbillon ! Elle a le diable au corps. Il ne s’embêtera pas, celui…

— Pssh ! dit Isabelle. Faites donc attention…

M. Durras jeta un coup d’œil furibond à sa petite nièce et reposa son menton sur sa canne d’un air vexé. Et comme il s’enfonçait dans un mutisme volontaire, ce fut vers la petite qu’Isabelle se tourna :

— Regarde-la donc, là-bas, avec ses yeux brillants. Elle est très consciente de ce qu’elle a fait, va, la petite gale ! Le pauvre homme y pensera longtemps, à cette humiliation. Tu imagines, pour un danseur professionnel, ce que cela peut représenter… Elle s’en amuse.