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LE RAISIN VERT

Le Corbiau songeait que, dans un instant, les siens allaient se trouver en présence de Nina Bonafé. Et elle avait besoin de tout son courage pour continuer d’avancer vers cette rencontre.

La traversée des classes vides, enguirlandées de cordons de papiers multicolores, s’était effectuée comme en rêve, le corps vide et léger, les oreilles bourdonnantes, l’esprit stupéfié d’émotion. Et soudain la salle de danse, la cohue, la chaleur, les bouffées de piano, de rires, de parfums ; on est saisi, envahi, emporté, sans pouvoir se défendre. Un instant après, on nage, calme, dans ce nouvel élément.

Lise dansait un boston avec Laurent. Elle étincelait de triomphe, des lueurs électriques parcouraient son chignon grec. Ah ! ses cothurnes pouvaient bien bâiller, elle n’en avait cure. Le rythme du boston, qui gouvernait ses mouvements, accélérait en même temps le cours de ses pensées :

« Je vois maman là-bas, assise à côté de papa. Papa est le seul homme de la réunion, avec M. Jasmyn. Mais M. Jasmyn n’est pas un homme, c’est un professeur. Maman est rudement belle, c’est la plus belle. Mme Debourdynck, que je trouve si jolie quand je la vois toute seule, avec ses cheveux blonds et sa peau en crème, eh bien, elle n’existe plus à côté de maman. On dit qu’elle est la femme d’un gros brasseur. Gros, ça veut dire riche. C’est pourquoi elle a des diamants. J’aimerais bien avoir des diamants, mais je n’aimerais pas qu’on dise de moi que je suis une grosse quelque chose, non, merci. Est-ce que papa s’amuse ? Hum ! il n’a pas l’air… »

Assis à côté de sa femme, un peu en retrait, M. Durras appuyait son menton sur sa canne, avançait la lèvre inférieure et laissait errer sur cette foule bigarrée d’enfants et de jeunes filles le regard distrait de ses yeux bleus à fleur de tête. « Ce qu’il est