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LE RAISIN VERT

Il n’y a que Nina Bonafé qui ait une taille comparable à celle d’Isabelle. À part cela, elles sont bien différentes, quoiqu’elles soient toutes les deux brunes et vives, avec des mouvements si rapides qu’à peine a-t-on le temps de les suivre…

« Est-ce que Nina Bonafé me trouvera jolie, tout à l’heure ? »

Un coup d’œil furtif à la glace et la joie remonte, afflue. Ces cheveux répandus sur la tunique brillante, Nina les aime, Nina les a souvent caressés, pendant les récréations où la grande fille rejoint sa petite amie : « Mosquito, pourquoi tou m’appelles mademoiselle ? Tou ne m’aimes pas ? Mosquito de mon cœur, dis un peu : Nina, je t’aime… » Elle est folle, cette Nina. Est-ce qu’on dit des choses pareilles ?

Mais penser qu’elle vous verra tout à l’heure, dans ce costume, c’est trop de joie. Il y a de quoi prendre peur.

Pourtant, tout va bien. Tout le monde est heureux. Isabelle, qui est en train de coiffer Lise, Laurent qui dessine, Lise qui babille de sa voix ivre : « Il va venir tout à l’heure un calender borgne… » Tous, si heureux, si gais. On voudrait que cela durât toujours.

Oui, que cette minute dure toujours. La minute où Laurent vient d’achever son dessin, où Isabelle se penche, illuminée : « Oh ! c’est étonnant ! » où Lise, les yeux brillants, se lève pour se regarder dans la glace…

La minute est passée. Lise pleure sur les débris d’une déesse, Isabelle est assise, toute pâle, sur le canapé. Laurent, barbouillé de rouge et de blanc, laisse paraître un regard navré dans son bel œil chauve. Et l’on a honte de ce joli costume, qui vous fait l’effet d’une provocation. On ne devrait pas se costumer en Schéhérazade. On ne devrait pas aller au bal. On ne devrait pas braver le malheur toujours prêt à s’abattre. On devrait porter toujours la même robe, de couleur neutre et de coupe effacée, parler toujours