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LE RAISIN VERT

réservées à des jeunes filles étrangères, clientèle dorée de la pension Rémusat.

En voyant entrer Isabelle et Laurent, le Corbiau eut un élan de joie, aussitôt refréné, mais son sourire demeura, lent, persistant et singulier, qui naissait des paupières et des tempes et de là se répandait sur tout son visage.

— Nous sommes un peu en retard, dit Isabelle. Tu n’avais pas peur qu’on t’oublie, au moins ?

— Penses-tu ! répondit le Corbiau, qui, depuis tout à l’heure, ne pensait qu’à cela.

— Où est Lise ? demanda Mme Durras, voyant les vêtements de sa fille abandonnés sur la banquette.

— Elle joue dans le préau avec les pensionnaires.

— Oh la folle ! dit Isabelle. Je vais la retrouver aphone à force de crier et tous les cheveux en l’air.

Tandis qu’elle partait à sa recherche à travers les classes plongées dans l’obscurité, Laurent s’assit à côté du Corbiau et tous les deux demeurèrent là sans rien dire, reconstituant l’intimité dans un silence pudique.

Un groupe de jeunes filles de quinze à seize ans descendit l’escalier, riant et jacassant dans une riche langue du Sud, aux sonorités rebondissantes. Elles s’arrêtèrent devant la glace qui surmontait la banquette pour tapoter leur coiffure et se faire des mines. Mais l’une d’elles n’accorda à son image qu’un coup d’œil négligent, car tout lui était miroir. Quelle pierre brute eût ignoré que Nina Bonafé était partout la plus belle ?

Son regard noir et brillant s’abaissa jusqu’au Corbiau, et lorsqu’elle lui sourit, ses dents, ses yeux, ses cheveux jetèrent le même éclair.

Ay, mosquito de mon cœur, tu ne me connais pas aujourd’hui ?

— Si, répondit le Corbiau. Bonjour, Nina.

— Bonjour, Nina, répéta la jeune fille, imitant par