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III


Mme  Durras franchit le seuil du collège Saint-Esprit sous la pluie sifflante de décembre, qui achevait de pourrir les tombeaux de feuilles mortes alignés le long des avenues.

Elle était en avance et se réjouit de trouver le parloir encore désert. Entendre les conversations des mères lui était pénible. La plupart d’entre elles lui faisaient l’effet de fonctionnaires de la maternité, qui accomplissaient leur besogne honnêtement, scrupuleusement même, mais sans initiative, sans élan ni inspiration. Et, comme les fonctionnaires, elles s’attachaient à des petites satisfactions d’avancement : « À la dernière composition, il a été sixième. Je lui ai dit : « Si tu arrives à être troisième, tu auras ta bicyclette pour Pâques… »

« Comme elles doivent s’ennuyer ! » songeait Isabelle en les écoutant.

D’autres se confiaient leur bonheur conjugal :

— Non, madame, je n’ai pas à me plaindre. Mon mari est un époux modèle. Tous les soirs, quand il rentre du bureau : « As-tu bien étudié ton piano, ma chérie ? » C’est qu’il tient à son petit morceau, après dîner, pendant qu’il prend le café au salon.

Mme  Durras pensait à son mari, qui ne pouvait souffrir la musique, si bien qu’elle avait dû pratiquement renoncer à un plaisir qui lui tenait très fort au cœur. Mais l’évocation du petit morceau l’amenait, par comparaison, à se féliciter de son sort. Amédée