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LE RAISIN VERT

regard la préoccupation qui les habitait : serait-ce de vrais bons gâteaux ou des gâteaux-représailles ?

Et lorsqu’ils virent les gâteaux sur l’assiette, ils se mordirent tristement la lèvre inférieure, car le doute n’était pas possible, devant ces lourds chaussons bordés d’un épais ourlet de pâte mal cuite et enduits de caramel brûlé, ces madeleines sèches, bonnes à suspendre au milieu d’une cage à serins et ces pâles mokas, fourrés d’une crème à consistance de bougie…

— Je les ai achetés, expliqua M. Durras, chez un petit boulanger de la rue Saint-Antoine. Les snobs n’y vont pas, parce qu’on y paye dix sous ce qui en vaut vingt ailleurs. C’est l’unique raison. Pour le reste, un gâteau est un gâteau.

C’était dit à la cantonade, sur un ton de défi qui suscita aussitôt, dans l’esprit des enfants, l’image des petits paquets qu’Isabelle rapportait parfois à la maison et d’où elle extrayait quelques friandises vernies, étroites, fleurant la noix, le café, la pistache et le chocolat fin.

Chacun s’était servi. Il y eut un silence.

— Alors ? demanda M. Durras à Laurent, qui écornait un moka du bout de sa cuiller. C’est bon ou ce n’est pas bon ?

Laurent avala sa bouchée de gâteau :

— C’est bon, dit-il froidement, avec un salut poli.

Lise portait sans entrain un chausson à sa bouche. Elle y mordit du bout des dents, avec une visible inquiétude.

— Il ne t’empoisonnera pas, va ! dit M. Durras d’une voix colère.

La petite fille leva des paupières sans reproche sur des prunelles limpides, qui se ternirent peu à peu et comme malgré elle, tandis qu’elle mâchonnait lentement sa bouchée de gâteau. Et bientôt ce mouvement s’arrêta, la main qui tenait le chausson resta en sus-