Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
LE RAISIN VERT

toute magie évaporée, il ne resterait plus que l’humain résidu de la passion. Non, ce n’était pas une Isabelle. Aucune soif d’absolu ne l’habitait, aucune intransigeance ne limitait sa féminine souplesse, prête à se laisser modeler en apparence et à tout abandonner d’elle-même alors qu’elle n’obéissait qu’à la loi capricieuse de son propre désir. Une amoureuse, enfin.

Comme il recherchait en lui-même le son des mots qu’elle avait prononcés, le regard de Laurent fut attiré par un petit garçon de deux à trois ans, qu’une bonne d’enfant portait dans ses bras, assise à côté du jeune homme sur la banquette.

Le petit n’accordait aucune attention à ses voisins. Dressant son cou fier, trop frêle pour la grosseur de sa tête, comme tous les cous d’enfants, ces faibles supports où se concentre une si surprenante énergie, il regardait de ses immenses yeux noirs une très belle jeune femme qui devait être sa mère, à en juger par leur ressemblance, et qui se tenait debout au milieu du wagon, tournant le dos à l’enfant, aimantée tout entière à son tour par le visage d’un homme jeune qui lui parlait à mi-voix en regardant ses lèvres.

Ils formaient un couple magnifique. Tous deux grands, élancés de la nuque aux jarrets et portant fièrement la tête, comme le petit. Mais tous deux si jalousement absorbés dans le circuit fermé de leur passion qu’ils n’avaient pas un regard pour l’enfant chargé de leur ardeur et dont l’appel passait à côté d’eux sans les toucher. Et lui, assis sur le bras d’une femme étrangère qui ne comptait pas plus qu’un socle, brûlait silencieusement dans sa solitude.

Laurent regardait tantôt l’enfant, tantôt la mère. De vieilles souffrances revivaient au fond de son âme, de vieilles haines aux inextricables nœuds.

Comme la banquette d’en face était libre, il s’y assit, pour ne plus voir le couple qui l’irritait. Les yeux du petit garçon rencontrèrent les siens et sans