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LE RAISIN VERT

de leurs fourchettes, en criant : « Ça y est ! Elle aussi ! On va l’enfermer ! On va l’enfermer avec Tiercelin ! »

— Il n’y tient guère, s’écria Lise en riant. Il aurait trop peur d’une morsure de schizophrène. Je crois qu’il aimerait mieux la gracieuse Comtat, comme il dit. Tout ce qu’il m’a raconté sur son cas ! J’ai cru le calmer par un tango, mais pas du tout, il est reparti de plus belle. Hyperémotivité, mélancolie anxieuse et des tas de complexes et de fixations — tant et si bien que cela devient de l’inhibition, — oui, mes enfants. Et en voulez-vous la preuve ? Eh bien ! au début de la soirée, Anne-Marie a, paraît-il, refusé un tango à Tiercelin. Et savez-vous pourquoi ? Parce qu’elle tremblait qu’il ne la troublât et que cette émotion n’entrât en conflit avec ses inhibitions. Et voilà pourquoi notre fille est… hum ! muette.

Un éclat de rire général salua cette conclusion et l’étudiante qui avait déjà parlé reprit :

— Il est malade, Tiercelin.

— C’est ce que je lui ai dit, répliqua Lise. Je lui ai dit pour finir : « Tiercelin, mon ami, vous êtes un cas. Vous êtes un cas de refoulement passionnel par excès d’amour-propre. »

« Et vous, Durras, m’a-t-il répondu, vous êtes la peste en personne. — Docteur, ai-je répliqué, voilà le premier diagnostic juste de votre carrière. » Il en était vert de rage. Ha ! ha ! ha !

Ils continuèrent ainsi à rire et à plaisanter, en dévorant sandwiches et gâteaux. Puis quelqu’un dit : « On gèle ici. Allons danser », et ils redescendirent en tumulte vers les étages inférieurs où la foule des danseurs n’avait cessé de tourner et de piétiner sur place, malaxée par le jazz dont l’entrain, devenu automatique, repartait après chaque pause sans s’être détendu.