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LE RAISIN VERT

Et elle ne craignait plus rien.

Une cloche fêlée sonna minuit. Le collège Henri-IV dispensait l’heure à la montagne studieuse, sur un airain vieux de trois siècles. Saint-Étienne-du-Mont frappa ensuite douze coups plus clairs, précédés d’un carillon tintant, d’autres cloches encore sonnèrent à leur tour, Louis-le-Grand, Sainte-Barbe. Chacune avait sa voix. Pour chacune, il était minuit sur un point différent du temps.

Mais il n’était pas d’heure pour les moineaux endormis dans les arbres des jardins, ni pour les insectes logés entre les fissures de l’écorce. Il n’était pas d’heure pour ceux qui lisaient ni pour ceux qui aimaient, ni pour la jeune fille paisiblement allongée sur un lit inconnu et qui souriait à son secret.

Il y eut du bruit dans le couloir, des éclats joyeux. C’était une bande de jeunes gens et de jeunes filles qui apportaient de quoi souper dans une « thurne ». Ils s’installèrent dans la cellule voisine et le Corbiau reconnut la voix de Lise, aiguë et rieuse, si semblable à sa voix de petite fille qu’elle crut entendre l’appel d’autrefois traverser l’air cristallin d’un haut plateau :

— Corbiau genti-il ! Où es-tu-û ? On va chercher les camarades !

Ils étaient tous là, les camarades, en train de mettre le couvert. Et Lise contait :

— Mes enfants, je viens d’être entreprise par Tiercelin. J’ai cru qu’il allait me rendre enragée.

— Le toubib ? s’écria une étudiante. Il vous a expliqué votre cas, je parie ? C’est sa manière à lui de faire la cour aux femmes.

— Tout juste, dit Lise. Et comme je n’ai pas paru séduite — ce qu’il appelle, lui, refuser le réel — mon cas est clair : psychose morbide, aliénation mentale au premier degré.

À ces mots, tous frappèrent sur la table du manche