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LE RAISIN VERT

— Tiens, dit-il, voici Laurent. Miracle ! Est-ce que nous verrons Laurent danser ?

— Vous ne voudriez pas, dit le Corbiau en riant. Il y compromettrait sa dignité juridique. Non, Laurent vient regarder.

— L’homme est né spectateur, cita Jacques Henry avec une emphase plaisante. C’est écrit dans la Bible de mes pères. Salut, vieux.

— Salut, vieux. Tu ne danses pas, Corbiau ?

— Pas pour le moment.

— Elle est toujours fatiguée, dit Jacques Henry avec amertume.

Et le Corbiau pensa : « J’entends par avance le ton du ressentiment conjugal, quand l’amour se serait usé au frottement de la vie commune et à tout ce qu’un être recèle d’intolérable pour un autre… »

— Ça ne va pas, Corbiau ? demandait Laurent, affectueux et bourru. Tu veux que je te raccompagne à la maison ?

— Non, merci, répondit-elle vivement. Je m’amuse beaucoup.

— Tu m’en as tout l’air. Et la Folle ? où est-elle ?

— Là-bas. Elle n’en manque pas une. Elle désigna du menton le visage animé et riant de Lise, qui apparaissait et disparaissait entre les couples.

— Quelle gosse ! murmura Laurent. Elle aura quatre ans toute sa vie, celle-là. Rien ne lui apprend rien.

— Crois-tu ? Moi je crois qu’elle apprend, comme tout le monde, mais tout ce qu’elle apprend, elle en fait du Lise Durras, comme toi tu en fais du Laurent Durras, comme moi j’en fais du Corbiau gentil.

— C’est juste, dit Laurent. Le mouton et la vache tondent le même pré, mais avec cette herbe, la vache fait de la vache et le mouton, du mouton. C’est ainsi que se perpétue l’aimable variété de cette pétaudière. Allons, continue à te réjouir selon ton inclination particulière, ma vieille, je m’en vais faire un tour à Mont-