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LE RAISIN VERT

— Mais pas du tout, voyons, protesta le Corbiau avec une douce et désespérante politesse.

Il restait debout, incertain, tourmentant son mouchoir, attendant, lui aussi, quelque chose qui ne viendrait pas.

Le Corbiau songeait au regard plein d’espoir qu’Isabelle attachait sur ce grand jeune homme sérieux et d’une charmante élégance, lorsqu’il venait prendre le thé à la maison.

— Un garçon de valeur, Jacques Henry, tu ne trouves pas ?

— De grande valeur. Je ne lui connais que des qualités.

Disant cela, elle devenait de glace et prenait cet air distant et dur qui décourageait les plus hardis, cependant qu’en elle-même elle ressentait péniblement la déception d’Isabelle et cette timidité touchante qui lui faisait craindre de violenter ses enfants et qui au même moment entrait en conflit avec son besoin acharné de construire leur bonheur de ses propres mains, jusqu’au bout.

« Si grand que soit l’amour, songeait le Corbiau, il y a des lois intérieures qu’il ne peut pas forcer. Je ne sais pas encore ce que je veux, mais je sais très clairement ce que je ne veux pas. »

— Décidément, demanda Jacques — et sa voix vibrait un peu plus haut que d’habitude — vous restez sur votre chaise ?

Elle leva les yeux, sourit une fois de plus à son visage long et fin, pâle sous ses cheveux blonds, de la pâleur particulière aux gazés :

— Décidément, oui.

Jacques Henry sifflota d’un air dégagé, regardant vers l’entrée de la salle, par-dessus les têtes, rapprochées deux à deux par l’intimité provisoire de la danse qui entraînait dans le même rythme, aux brusques cassures, des corps à la fois livrés et refusés.