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LE RAISIN VERT

À la fin, le frère de Jeannette disparut, pour laisser la place à quelqu’un d’autre.

Les yeux clos, les sourcils froncés par l’effort de concentration qu’elle faisait, Lise disait à M. Durras :

— Te souviens-tu de Pignardol ? Et des pierres fausses ? Eh bien, j’ai compris. Tu cherchais l’illusion. Mais comme tu ne voulais pas admettre sa nature d’illusion, à chaque fois tu te fracassais la tête. Et tu frappais ce mur du poing, comme font les enfants quand ils se sont cognés.

« Il faut apprendre à soumettre l’illusion, au lieu de se soumettre à elle. C’est un long apprentissage et peut-être seras-tu content de savoir que j’ai suivi cette école-là. Cela s’est fait d’ailleurs sans moi, ou presque. Parfois, je me demande si un désir qui a manqué le coche au départ d’une vie ne sauterait pas dans une autre qui le prolonge, et alors il pousse les chevaux avec une force enragée, jusqu’à ce qu’il soit satisfait. Ce pourrait bien être là une de ces explications profondes qui n’expliquent rien — comme la philo — mais qui constatent.

« En tout cas, je dois te faire amende honorable pour une vieille histoire. Te souviens-tu d’un certain bal costumé, à la pension Rémusat ? J’étais debout sur la table, et à un moment donné, tu as dit à Nina que je te ressemblais. C’était si drôle que je n’ai pas pu m’empêcher de rire. Eh bien ! j’ai eu tort, les apparences avaient tort et c’est toi qui avais raison.

« À présent, si tu es content, comme je l’espère, accorde-moi ce que je vais te demander : ne fais plus de mal à Laurent. »