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LE RAISIN VERT

mâchoires. Ses paupières battaient convulsivement et son regard bas révélait l’empire de l’idée fixe : étendre le pied sous la table jusqu’à frôler son pantalon, une fois, deux fois… Toucher la bouteille de vin blanc du coude et du poignet droits, puis la bouteille de vin rouge du coude et du poignet gauches, sans qu’il me voie… Sursauter sur une chaise en aboyant tout bas, puis plus fort, de plus en plus fort jusqu’à ce qu’il me regarde, et s’il me regarde… »

Isabelle se penchait, murmurant très vite entre ses dents :

— Ne fais pas l’imbécile… Bois un verre d’eau… compte jusqu’à cent…

Lise bavardait à tue-tête. Le Corbiau ne quittait pas son oncle des yeux, comme si elle avait espéré l’enchaîner par la force de son regard anxieux.

Mais M. Durras, cette fois, faisait mine d’ignorer les provocations de son puéril ennemi, soit qu’il aspirât maintenant à la paix, soit que cette partie de lui-même qui poursuivait un dessein caché lui suggérât qu’une gifle n’est pas le plus sûr moyen de frapper un enfant et qu’il avait déjà atteint son but.

Vint le jour où l’on referma la porte sur les talons du frotteur, où l’on déroula les tapis, où l’on tendit devant les fenêtres les rideaux de tulle neuf. Ce soir-là, lorsque Amédée rentra, on le promena partout en triomphe. Chacun lui pardonnait de s’être désintéressé de l’installation. Peut-être même lui était-on reconnaissant, au fond, d’avoir laissé à sa famille la supériorité de l’artiste sur le client, du travailleur sur l’oisif. Et puis, enfin, qu’eût-on fait de ses avis ?

M. Durras parcourut avec satisfaction les pièces du couchant, où les dernières lueurs du jour éclairaient