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LE RAISIN VERT

deux catégories dans l’espèce humaine : les gens qui aspirent à vivre le plus possible et les gens qui aspirent à vivre le moins possible. Tu es un exemplaire fortement caractérisé de la première catégorie qui a rencontré un exemplaire fortement caractérisé de la seconde. Je ne sais trop quelle loi des contraires vous a poussés à vous assembler, toujours est-il qu’il serait fou de prétendre qu’un des deux éléments absorbât l’autre chez les produits de cette union au point de l’annihiler. Tu auras beau faire, Lise et moi nous sommes des métis. Et l’autre aussi aurait beau faire, s’il voulait t’expulser complètement de notre sang, il n’y parviendrait pas. Mais, vois-tu, il y a des jours où je me dis : « Amédée était dans le vrai quand il se laissait aller. Le bon truc, dans la vie, c’est de faire la planche et de se laisser flotter au gré des vagues. »

— Non, non et non ! s’écria Isabelle avec feu. Vivre sans agir, vivre sans rayonner, sans faire vivre autour de soi, ce n’est pas vivre. Nous n’avons pas été créés pour jouer le rôle de méduses.

— C’est bien ce que je pensais, dit Laurent en secouant la tête. Tu es une mystique. Tu es une mystique de l’action, qui est devenue une mystique de la maternité, parce que c’est l’action majeure, pour les femmes. Et comme de juste, tu as formé d’autres mystiques. Lise est une mystique de l’illusion. Elle se démène au milieu de ses fictions avec le même entrain que tu mets à pétrir le réel. Quant au Corbiau… j’ai bien peur que le Corbiau ne soit une mystique de l’amour. Je souhaite me tromper, car cela lui prédirait un sort pitoyable.

« Tu vois ça, reprit-il avec un rire triste, une mystique de l’amour devant l’humanité qui sortira de la guerre ? Pauv’ gosse !

Il se pencha pour frotter chaleureusement son nez contre la joue de sa mère, qui restait pensive.

— Ce que je te dis-là, tu sais, ma Gentille, ne va