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LE RAISIN VERT

À travers les rues désertes, montantes, pavées de « têtes de chat », Mme  Durras se dirigea vers l’hôtel que Laurent lui avait indiqué et où il viendrait la retrouver ce dimanche matin.

Des parfums de lilas, de seringas, dilatés par la pluie tiède, venaient à elle dans l’obscurité, du fond d’invisibles jardins et leur nature poreuse de parfums, si étrangement perméables à l’émotion humaine, se chargeaient de toute son angoisse.

Un garçon ensommeillé la guida le long d’un couloir jalonné de chaussures et lui ouvrit la porte d’une de ces chambres d’hôtel banales et propres dont le souvenir, lorsqu’on y a souffert, vous poursuit comme celui d’un cauchemar, sans que l’on puisse parvenir à reconstituer leur aspect.

Et la seconde moitié de la nuit s’écoula — ce versant d’après minuit qui penche vers le matin, de moins en moins dense, de plus en plus sonore, jusqu’à ce que sa trame se déchire tout à fait.

Il faisait grand jour et Isabelle commençait enfin à s’assoupir lorsqu’on frappa à la porte et Laurent entra.

Arrivé de la caserne au galop, il avait parcouru les couloirs de l’hôtel, inspectant les chaussures déposées devant les portes jusqu’à ce qu’il reconnût, dans certaine paire, l’empreinte en creux du pied d’Isabelle.

Et comme il embrassait sa mère en riant de bonheur, se poussant du nez et du front contre sa joue, à sa manière d’autrefois, elle se figura, toute ensommeillée, qu’il avait huit ans et qu’il venait lui dire bonjour dans sa chambre des Bories, au retour d’une expédition matinale avec Chientou. L’enfance, délice et supplice de Tantale de la mémoire maternelle, régnait sur tous les instants de sa vie inconsciente.

Elle ouvrit les yeux et le vit tondu, ensaché dans une capote bleu horizon et plombé de gros souliers.

— Vise un peu si je suis fringué, dit-il plaisamment, en se débarrassant de sa capote.