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LE RAISIN VERT

— Tudieu ! ma jolie, dit-elle en se campant sur une hanche, à la cavalière et frisant une imaginaire moustache, savez-vous que je n’aimerais guère que le Saint-Esprit se mêlât de mes affaires, si j’étais Monsieur le mari d’une aimable fille comme notre Emmanuelle ?

— Sans doute, mon cœur, sans doute, répartit Lise incontinent. Mais, croyez-moi, la vie est bien difficile pour nous autres femmes et le Saint-Esprit nous est d’un grand secours en plus d’un cas. Croyez-en l’épouse de M. Bonacieux, mon cœur.

Là-dessus, toutes deux s’avisèrent de la présence de Jacques Henry et furent saisies d’un merveilleux fou rire devant sa mine ahurie. Décidément, les garçons n’entendaient rien à la superposition des plans.

— Et pourtant, soupirait Lise un instant après, Laurent joue rudement bien quand il consent à ne plus poser à l’ecclésiaste.

La pipe aux dents, coiffé d’une casquette d’uniforme britannique, Laurent jouait à présent le soldat anglais, légèrement groggy et d’autant plus digne, entre deux petites ouvrières de Paris — Emmanuelle et Cassandre.

À l’autre bras d’Emmanuelle, le Corbiau emmitouflée d’un cache-nez de laine représentait le Poilu traditionnel, massif, bonhomme et résigné à tout — à la guerre, aux poux, à la gloire, aux récits des journaux et au goût immodéré des Parisiennes pour les soldats kaki.

— Il sait parler aux femmes, votre ami ? lui demandait Emmanuelle.

— Le frère ? répondit le poilu d’une voix lente, alourdie de songe. Oui, oui… pas mal, quand il n’est pas noir.

— Eh ! le Britiche, s’écria Cassandre, en pure midinette, vous êtes noir ? Vous savez t’y causer le français, oui, non ?