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LE RAISIN VERT

lustres où ils étaient, sur le parquet, et mettre mon classeur en ordre. Marie ! venez ici. Je ne veux pas voir un tapis roulé dans mon bureau, vous m’entendez, ma fille ? Mon bureau n’est pas un garde-meubles. Enlevez-moi ça.

— Mes enfants, disait Isabelle, s’il est vrai que Dieu ait fait l’homme à son image… Eh bien, ce n’est pas rassurant ! »

Elle se remettait debout d’un élan, sur ses pieds gonflés de fatigue, rejoignait vivement la jeune servante rousse aux naïfs yeux bleus qui traînait son tapis en pleurant de lassitude :

— Ne pleurez pas, Marie, je vais vous aider. Ma pauvre fille, si jamais il vous vient à l’esprit de faire comme les autres, tâchez de trouver un mari qui ne rentre pas tous les soirs. Tenez ! un mécanicien de l’Orient Express, par exemple. Vous voyez cela ? un mari qu’on enverrait toutes les semaines à Constantinople, quel rêve !

— Pour sûr, Madame, approuvait Marie en s’essuyant les yeux. Moi, d’abord, les hommes, plus j’en vois, moins ça me chante.

Là-dessus, on se mettait à table et M. Durras se retrouvait en face de son fils.

Laurent était le triomphateur de la journée. Laurent avait rendu mille services à la communauté, planté des clous, pendu des cadres, posé des fils électriques — bref, il s’était conduit comme l’homme de la maison — et sa mère ne se privait pas du plaisir d’en témoigner et son père comprenait à merveille ce que cela voulait dire. Serrant un peu contre ses dents sa lèvre inférieure rouge et contractile, il faisait peser sur le petit garçon un regard qui lui imputait à méfait l’activité dont Isabelle le louait tout haut, avec une témérité provocante.

Laurent montrait d’abord par son attitude qu’il se souciait peu de ce muet réquisitoire. Le men-