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LE RAISIN VERT

pluies ou se promenaient dans le vestiaire de long en long.

Leurs rapports étaient ceux d’une écolière déférente et de son maître. Nulle familiarité. Mais Lise savait bien que Heine l’aimait, quoi qu’il ne lui eût jamais dit.

Pourquoi tardait-il à venir aujourd’hui ? Sans cesse, elle regardait par-dessus son épaule, tandis que Figaro-Cassandre entamait avec elle un nouveau dialogue, Almaviva étant parti visiter ses terres, derrière le portemanteau.

Et soudain Heine fut présent, au fond du vestiaire. Il la regardait de loin et ces mots voyagèrent de lui à elle, prononcés dans l’espace intérieur : Warum nicht allein heute, mein Liebling[1] ?

Mein Liebling ! pensa Lise, éblouie. C’est donc bien vrai qu’il m’aime, il me l’a dit, et en allemand, encore ! Vraiment, j’ai trop de chance dans la vie… Qu’y a-t-il. Figaro ? Pourquoi cet air tragique, mon ami ? Écoute, Cassandre, je te l’ai déjà dit, mais tant pis, je le répète : tu pousses ton rôle trop au noir. Figaro n’est pas un ténébreux, que diable ! On croirait que tu joues Hernani.

— Tu m’embêtes, dit Cassandre. Je joue comme je sens. Figaro aime-t-il Suzanne, oui ou non ? Alors ?

Et elle reprit aussitôt le regard intense et le sourcil jaloux qui avaient provoqué la critique de Lise.

— Suzanne, dit-elle douloureusement, à quoi penses-tu, Suzanne ? Tu ne m’écoutes plus, je te vois toute drôle. Ah ! je devine : la recherche d’Almaviva te flatte, quoi que tu en aies. Il a su te troubler, ce Monsieur le comte. Mordieu ! Ils nous prendront bientôt nos femmes entre les bras, ces beaux seigneurs, si nous les laissons faire !

89 était en marche. Figaro reçut pour la peine un

  1. Pourquoi pas seule aujourd’hui, mon amour ?