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LE RAISIN VERT

Le Corbiau posa la craie et leva des yeux martyrs.

— Écoute, Emmanuelle, ce que j’en fais, ce n’est pas pour mon plaisir. (Quel effronté mensonge ! se dit-elle au même moment.) Si tu ne travailles pas, tu seras recalce au bacc’ et que dira ton père ?

La grande fille s’adossa au tableau noir et s’étira voluptueusement, tournant vers la lumière le double onglet busqué de ses petites narines frémissantes et son œil brun, mobile, visité de lueurs comme l’œil du pur-sang.

— Le capitaine adore sa fille, dit-elle avec un sourire fier et nonchalant. Bachelière ou pas, qu’est-ce que cela y change ? Ne sois pas conventionnelle, chérie. Viens, on va filer au vestiaire, voir où en est le jeu. Si on tombe sur la surveillante générale, ce sera crevant. Zéro de conduite, pan ! Rapport à la directrice, bzoum ! Nabuchodonosor, mes amours, on s’en va. Vous êtes un beau garçon, un dégoûtant flemmard, un profiteur de guerre. Vous aurez des mouches vivantes dans du lait tiède pour votre déjeuner. Ne soyez pas malade, ou je vous renie.

Elle souleva le reptile à la hauteur de son visage, mit un baiser sur le petit museau froid, scellé comme une cassette et glissa l’orvet dans son corsage.

« Je n’ai aucune volonté, se disait le Corbiau en effaçant l’énoncé du problème avec l’éponge mouillée. Mais ça m’est complètement égal. »

Et elle se sentait si heureuse qu’elle fut forcée de rire tout haut.

Lise avait découvert un jour, en furetant, le tableau des clés où la surveillante chargée de la sortie des élèves accrochait la clé du vestiaire.

Depuis, ce vestiaire jouait un grand rôle dans sa vie. Elle s’y réfugiait chaque fois qu’elle pouvait s’esquiver pendant les heures d’étude surveillée, et