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LE RAISIN VERT

la question posée dix mois plus tôt, ou tout au moins un commencement de réponse.

Le rôle d’Amédée dans leur groupe, elle ne savait pas encore quelle était sa nature. Mais elle savait qu’en dépit des apparences il faisait partie, indissolublement, de la « symbiose ». Il avait fallu sa mort pour que l’on s’en aperçût.

Comme toute vérité profonde on ne percevait celle-là que par éclairs. Absent de l’univers des siens pendant sa vie, M. Durras semblait avoir plongé, par la mort, dans une absence définitive. Une fois dissipées les impressions pénibles qui s’attachent à un deuil, la vie s’était organisée, lui disparu, avec une aisance morale qui faisait oublier les difficultés matérielles. On ne craignait plus d’entendre retentir dans l’antichambre le pas sec et rapide qui présageait une tombée de la foudre et chacun vaquait en paix à ses occupations.

Laurent s’était mis à travailler avec régularité. Il ne lui avait fallu qu’un petit effort pour passer des dernières places aux premières et la fin de l’année verrait un bachelier de plus.

Somme toute, sous la chaleur constante qui émanait d’Isabelle, ils avaient passé un hiver paisible, un paisible printemps, à ne regarder que les apparences.

Mais les apparences ne pouvaient abuser des êtres chez qui la double contrainte d’une tyrannie jalouse et d’un amour qui devait renoncer à s’épancher librement avaient développé à l’extrême la sensibilité intuitive.

C’est pourquoi chacun savait que cette façade paisible cachait une reprise acharnée du combat. Laurent travaillait, sans doute, mais qu’est-ce qu’un travail accompli sans joie apporte à celui qui l’accomplit ? Rien qu’un sentiment de servitude. Et il semblait vraiment que le jeune garçon fût le serf de quel-