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LE RAISIN VERT

d’emblée, pour la seule raison qu’il le remplaçait. Et tous ces garçons, debout, feignant le respect, tandis qu’ils examinaient le prof par en dessous avec des yeux luisants de sarcasme, se disaient qu’on leur avait certainement servi un déchet. Il ne restait plus que cela à l’arrière : les déchets, les vieux, les femmes. Et Eux.

Le proviseur prit la parole. Il leur dit que l’heure était solennelle et que la France attendait d’eux qu’ils fussent dignes de leurs aînés. Ils étaient le blé qui lève et qui remplacera demain la moisson mûre, fauchée, hélas ! pour le salut de la Patrie. Quelques-uns comptaient déjà dans leur famille des morts glorieux. C’était à ceux-là qu’il appartenait de donner l’exemple et de faire fructifier l’héritage moral des héros.

Derrière Laurent, le petit Duchemin conclut à mi-voix : « Tsouin, tsouin. » Une voix étouffée le gourmanda : « Ta g… »

Laurent, lui, serrait les dents. Aux mots d’« hérirage moral », le nœud dont la présence de Jacques Henry l’avait délivré s’était reformé dans sa poitrine. Il aurait voulu se battre à coups de poing.

À la sortie, des groupes s’assemblaient, qui discutaient les événements avec une compétence passionnée :

— Mon père, qui est au G. Q. G., m’a dit que…

— Eh bien, mon vieux, ce n’est pas l’avis du mien qui est bien informé…

— Non, mon vieux…

— Si, mon vieux…

Ils avaient tous des pères, ceux-là, et quand ils en parlaient, ils se sentaient appuyés sur quelqu’un.

Une jeune femme passa, rapide, sur ses gardes. Tout le monde se retrouva d’accord pour imiter le chant de la poule qui vient de pondre.

Jacques Henry accompagna Laurent un bout de chemin. En le quittant, il prit son air le plus calviniste pour demander :