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LE RAISIN VERT

qui la regardaient et parut leur donner à entendre qu’elle prétendait choisir et non être choisie. L’arc de sa lèvre supérieure se retroussait sur ses dents, tandis que la lèvre inférieure s’abaissait aux commissures, dans un mouvement de défi garçonnier.

C’est ainsi qu’elle regarda Cassandre, dont les prunelles mordorées se noyaient en son honneur d’une extase racinienne, et Lise qui déjà lui souriait, et, à côté de Lise, le Corbiau gentil dont le visage semi-asiatique, aux tempes élargies, au menton fin, ne demandait ni ne promettait rien. Ce fut pourtant ce visage qui reçut le premier sourire d’Emmanuelle. Puis la nouvelle idole accorda bénévolement au reste de la classe le sillage de ce sourire étincelant et le cours d’algèbre commença.

En voyant Jacques Henry venir à lui devant la porte du lycée, Laurent avait eu un éclair de vraie joie.

« Enfin, quelqu’un à qui parler ! »

Il lui semblait tout à coup qu’il venait de passer trois mois dans une île déserte.

— Eh bien, mon vieux ? demanda Jacques en lui serrant la main.

— Eh bien ! oui, mon vieux, dit Laurent.

— C’est bien triste, reprit Jacques.

— Que veux-tu ! dit encore Laurent.

Ils montèrent l’escalier du même pas, sans plus rien dire, leurs livres sous le bras, serrés dans un petit bout de tapis. Et tous deux avaient le sentiment qu’eux seuls détenaient la vérité.

Le proviseur entra dans la classe avec le nouveau professeur d’histoire. L’ancien, que Laurent admirait et pour lequel il se donnait la peine de travailler, était au front. Son remplaçant lui fut antipathique,