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IV
le raisin vert

— Mais non… Mais non. Mais si. Mais si… répondait Isabelle d’une voix lasse en achevant de boutonner sous son menton les quatre-vingt-dix-huit boutons de sa robe de drap champagne.

Son mari s’enflammait :

— Je vous dis que vous demandez l’impossible. Finissons-en. Le premier qui remplit les conditions théoriques, je l’arrête. Cinq à six pièces et un loyer qui ne dépasse pas trois mille. Un point, c’est tout.

— Les conditions théoriques ! répétait Isabelle en levant les épaules de pitié. Et les chambres à coucher ressembleront à des hernies le long d’un boyau noir et la cuisine sentira l’évier ! De quoi se pendre à trois torchons noués bout à bout… Laissez-moi chercher, Amédée. Je sais qu’il existe, l’appartement qu’il nous faut, mais laissez-moi le temps de le trouver…

— Assez cherché. Le premier qui me convient, je l’arrête. Qu’est-ce que vous faites là, vous autres ? Voulez-vous vous en aller !

Et les trois figures consternées d’inquiétude qu’il venait d’apercevoir dans la glace avaient disparu aussitôt.

N’aurait-on pas dit que chaque fois qu’il parlait de prendre une décision à lui seul, ces trois figures d’enfants voyaient se former dans l’air une catastrophe ?

« Absurde ! »

Amédée haussa les épaules, souffla, se tamponna les lèvres avec sa serviette. Isabelle lui jeta un coup d’œil rapide et morne et abaissa de nouveau ses grandes paupières sur ses petites prunelles, en étouffant un soupir.

Les difficultés ne faisaient que commencer, pensait-elle. Amédée serait toujours l’homme qui refuse d’admettre la nature des choses. Les douze ans qu’ils avaient passés, isolés sur un plateau de la haute