Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140
LE RAISIN VERT

amitié silencieuse, forte et sûre. Dans sa vie si singulièrement privée d’un véritable élément masculin, il avait tenu, ces deux ans passés, un rôle de remplacement. Il fallait y renoncer. Une politique impérieuse l’exigeait, qui jamais ne lui avait permis de tenir compte de ses inclinations personnelles.

Lise vint saluer avec empressement le directeur de son frère. Elle le trouvait beau, et si distingué ! Il incarnait pour elle, en secret, le Templier noir d’Ivanhoé.

Lise aimait les prêtres, quand ils n’étaient pas gras et qu’ils parlaient comme tout le monde. Ce matin, l’abbé Patrick avait eu un si joli sourire irlandais quand il s’était penché vers elle, assise dans les rangs de mousseline blanche, pour lui demander d’offrir le pain bénit… Dieu ! que n’aurait-elle fait pour l’abbé Patrick, quand il souriait ainsi…

— Eh bien ! petite Lise, nous avons fait une bonne première communion ?

— Merveilleuse, monsieur le Directeur, répondit Lise en levant des yeux encore éblouis du sourire de l’abbé Patrick sur le visage haut et sombre et le regard immobile du Templier noir. « Tiens ! Maman ferait une fameuse Rébecca… Mais à quoi vais-je penser, en un jour pareil ! Jésus ! que je suis profane ! »

— Aujourd’hui, voyez-vous, monsieur, reprit-elle tout haut, c’est l’inauguration de ma vie de jeune fille. Mais si je ne grandis pas bien vite, l’effet sera raté.

— Ô nature ! s’écria M. Alapetite en riant de tout son cœur. Comme il s’en faut que mes garçons soient aussi simples !

— Croyez-vous, monsieur, demanda Lise à brûle-pourpoint, que mon frère devienne un saint ?

Laurent, qui s’approchait, lui jeta un regard furibond. Elle en fut si décontenancée qu’elle n’entendit pas la réponse et, s’éloignant vivement du groupe, se laissa envahir et submerger par le bruit des voix,