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LE RAISIN VERT

agitant une sonnette jusqu’à ce que le dernier invité eût quitté la maison. Isabelle n’en était pas moins relativement tranquille, ayant retardé de trois quarts d’heure la pendule de son bureau.

La journée avait débuté pour elle par une victoire. Quelques semaines auparavant, considérant dans un catalogue les costumes Eton dont on a coutume d’habiller les communiants, elle avait déclaré :

« Fagotter Laurent en petit vieux ? Jamais ! » et elle lui avait acheté, d’autorité, un costume marin de laine blanche dans lequel il était beau comme un novice, avec son grand front tourmenté et ses yeux d’ombre et de lumière.

Lorsque le vicaire qui surveillait l’entrée des communiants à la porte de l’église vit arriver ce costume immaculé qui tranchait, de loin, dans la foule des habits noirs, il ouvrit des yeux stupéfaits et, lui barrant la route, s’écria : « Mais… mais… mais… mais ce n’est pas réglementaire ! »

Isabelle saisit la main de son fils, qui vacillait d’émotion, et, défiant le vicaire d’un coup de menton :

« Il est voué à Marie, monsieur l’abbé. Fallait-il donc l’habiller en bleu ciel ? » Là-dessus, profitant de son saisissement, elle lui avait passé sur le ventre avec le novice immaculé.

Après ce coup d’éclat, la cérémonie, les orgues, les chants, le défilé candide et recueilli lui avaient arraché des larmes. Elle ne s’était retrouvée elle-même qu’à la sortie, lorsque, serrant les enfants sur son cœur, elle faisait en même temps signe à une voiture, et, les y engouffrant comme s’ils avaient eu le diable aux trousses, s’était écriée avec une espèce d’indignation sacrée : « Et maintenant, vous allez manger ! »

Le chocolat surmonté d’un îlot de crème fouettée et la brioche mousseline avaient eu sur Laurent un effet surprenant. Appuyé à l’épaule de sa mère, il