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LE RAISIN VERT

l’attendent au dehors, il répond : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? »

Comment donc espérer qu’il comprendra ce qu’il n’a pas connu ?

Dieu n’est-il pas celui à qui l’amour humain porte ombrage ? Jésus ne l’a-t-il pas énoncé expressément : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ? » Dure, inflexible voix… Le Corbiau se retourne dans son lit et conclut, dure, inflexible, refusée tout entière : « Je ne suis pas digne. »

Mais les conclusions, chez elle, ne valent jamais que pour un temps. Ce temps écoulé, elle se retourne de l’autre côté, car une autre parole lui revient en mémoire, qui semble, celle-là, une promesse faite à l’amour humain : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel. »

Elle n’est pas sûre que le ciel existe, non, malgré tout ce qu’on a pu lui dire… Mais il doit exister, pour que ceux qui se sont aimés sur terre s’y retrouvent. Si un seul restait dehors, dans les ténèbres extérieures, ce ne serait plus le ciel.

Liés dans le ciel, tous les quatre. La promesse est formelle.

Mais alors… Amédée ? Faut-il condamner Amédée à la solitude éternelle ? N’est-il pas assez malheureux déjà ?

Si on lui donnait à choisir à lui-même, que choisirait-il ? Songe-t-il parfois à son âme ?

Et si c’était son rôle, à elle, d’inviter Amédée à songer à son âme ? C’est peut-être cela que Dieu attend d’elle, ce Dieu lointain, qui n’est pas Jésus et dont elle admet l’existence comme elle admet la réalité historique du règne de Louis XIV ?

Si c’est cela que Dieu attend d’elle, elle n’a perdu que trop de temps. Il lui faut aller tout de suite trouver son oncle Amédée, qui travaille ou lit dans son bureau, longtemps après le coucher des enfants.