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LE RAISIN VERT

que tu crois que Dieu n’aime pas mieux les fleurs que les cadavres ?

« Donc, l’on doit fleurir. Plus tard, on porte graine. La graine, à son tour, devient fleur. C’est cela, l’immortalité. Que veut-on de plus ? Ce n’est pas ton avis, Corbiau ?

— Peut-être, dit le Corbiau.

Isabelle la regarda d’un air de doute :

— Ce n’est pas une réponse. Donne ton opinion, parle. Tu as bien le droit de penser autrement que moi, mais dis-le.

Le Corbiau berçait toujours son genou à deux mains, avec un sourire attentif et un regard distrait.

— Je n’ai pas d’opinion, dit-elle enfin. Tout cela n’a aucune importance. Je suis fatiguée et je ne pense à rien.

Pour être véridique, elle aurait dû répondre :

— J’attends que tu aies cessé de penser toi-même aux choses auxquelles je pense pour savoir ce que je pense.

Mais cela, elle ne savait pas qu’elle le pensait.

C’est seulement le soir, quand elle fut couchée, toute la maison plongée dans le silence, qu’elle partit à la recherche de ses propres impressions.

Le sermon ne lui avait pas fait grand mal. Il la trouvait depuis longtemps prémunie. La pensée de la mort lui était familière. Elle ne faisait que changer de forme avec le temps.

Jadis, aux Bories, lorsqu’elle aidait la cuisinière à plumer des petits oiseaux, elle contemplait le cadavre nu et se disait : « Je vois un oiseau plumé sur une table de cuisine, mais la grive qui chantait tout à l’heure, où est-elle ? »

Un peu plus tard, comme elle pensait beaucoup à son corps et à tout ce qui concerne le corps qui paraît si étrange, si peu naturel lorsqu’on n’y est pas accoutumé, il était devenu nécessaire d’apprivoiser