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LE RAISIN VERT

la tête inclinée vers l’épaule et le sourcil froncé, se disait : « Il exagère, vraiment. Pourquoi prononce-t-il : Thôss ? »

Plus l’accent du prédicateur se faisait menaçant, plus la menace lui paraissait inopérante. Et comme, évoquant après Bossuet « ce qui n’a de nom dans aucune langue, » il invitait son jeune auditoire à se pencher avec lui sur les affreux mystères du tombeau et demeurait saisi d’horreur, les mains ouvertes, les yeux écarquillés, Lise vit en lui la parfaite image d’un homme qui vient de laisser choir à ses pieds un panier d’œufs et le comique de ce sermon manqué s’imposa si vivement à son esprit qu’elle rougit de gaîté alors que tous les visages pâlissaient autour d’elle.

Mais elle n’aimait pas être seule à rire. Pressant du coude le Corbiau, elle lui souffla : « Crois-tu qu’il joue mal ? C’est grotesque. »

— Chut ! fit l’autre sans tourner le visage.

Elle ne paraissait pas du tout sensible au comique de la situation. La tête levée, l’air absent, elle regardait droit devant elle, de ses larges yeux.

Déçue, Lise se pencha de l’autre côté et chercha des yeux son frère, parmi les rangs des garçons. Elle découvrit un visage bouleversé, qui ruisselait de larmes — de ces larmes sincères qui coulent toutes seules, sans grimaces — tandis que le prédicateur, abandonnant la dépouille aux vers du tombeau, décrivait avec le même luxe d’épouvante les tourments de l’âme pécheresse à jamais privée de la présence de Dieu.

L’allégresse de Lise s’éteignit sous un souffle froid. Il n’y avait plus moyen de rire, puisque Laurent pleurait.

Elle mordilla l’ongle de son pouce, fixa sur le siège de son prie-Dieu un regard désolé, puis, se retourna vers le Corbiau pour chercher du secours.