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LE RAISIN VERT

bon pour attraper une insolation. Tiens, tu es cramoisi. Attends, attends.

Elle déploie un mouchoir frais, qui sent l’iris — l’odeur de l’enfance — l’étend sur la nuque brûlante, endolorie, et passe son bras autour des épaules de Laurent, fait virer ce corps, l’arrache à l’appel de la ligne brillante qui miroite à l’horizon et reprend avec lui le chemin de la terre.

La migraine encercle les tempes de Laurent, des flèches de lumière le blessent au fond des yeux. Il chancelle contre l’épaule qui le soutient, content de se sentir soutenu, et, l’instant d’après, révolté :

— Quel salopiau je suis, quel salopiau ! Pas capable d’aller au bout… Les femmes, ce que ça sait vous entortiller, c’est dégoûtant… Mais pour la femelle à volants, là-haut, elle peut se fouiller, que je lui fasse des excuses. Une raclée, si elle n’est pas contente. Paraît qu’elles aiment ça…

— Tu délires ? dit Isabelle. Mon pauvre gros, quelle nature fiévreuse je t’ai passée ! Un coup de soleil et ton sang bout.

M. Durras trouvait excessif d’être obligé d’aller chercher le docteur en plein midi, pour une simple insolation. Est-ce qu’on était allé chercher le docteur le jour où lui, Amédée, était revenu de la pêche cuit comme un œuf à la coque ? Isabelle s’était contentée de lui poser des compresses et de lui faire avaler un cachet. Et tout le monde avait pris le thé bien tranquillement.

Mais Laurent jouait le grand jeu. Fièvre, vomissements, délire et il avait trouvé moyen d’affoler toute la maison. Anne-Marie éperdue, Lise en saule pleureur, Isabelle qui en oubliait le déjeuner… Ce goût du théâtre, qu’ils avaient tous ! Comme s’il faisait une température à jouer la tragédie…