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LE RAISIN VERT

en butant sur les cailloux le petit chemin qui conduisait au Vran.

Elle vit, de loin, le chevalet abandonné, le béret et les sandales jetés parmi les chardons et son cœur bondit d’angoisse.

Loin, là-bas, dans le champ de boue, une silhouette progressait vers la mer. Les petits souliers d’Isabelle s’enfoncent dans la vase molle. Au bout de trois pas, elle est déchaussée, mais continue d’avancer, aussi vite qu’elle peut, sous le bain brûlant du soleil. Elle n’a plus de souffle quand elle parvient à portée de voix. Il lui faut se reprendre, humecter sa gorge sèche avant d’appeler :

— Laurent ! Laurent ! Où vas-tu ?

Il se retourne, la découvre, lui jette un regard de défi et reprend sa marche, arrachant à chaque pas sa jambe que la boue englue presque à mi-mollet.

« Et si la lisière était mouvante… » pense Isabelle. La voix déchirée s’élève à nouveau :

— Mon petit ! Où vas-tu ?

Laurent se retourne encore, ébranlé par ce cri. Il mord et remord sa lèvre épaisse, vermeille et répond d’une voix basse, grondante :

— Laisse-moi. J’ai le droit de faire ce que je veux.

— Tu te trompes, gémit Isabelle. En ce moment, tu ne fais pas ce que tu veux. Tu n’es pas toi, tu n’es pas mon petit. Reviens. Reprends-toi. Dis-moi ce qui s’est passé. Allons, reviens.

Laurent la regarde, puis regarde la mer, au loin. Il ne sait plus ce qu’il veut. Ses sourcils se froncent, son menton s’abaisse sur sa poitrine :

— J’en ai assez, soupire-t-il. J’ai mal à la tête.

Isabelle approche de lui, péniblement, entravée par sa jupe qui plaque sur ses jambes un ourlet de boue humide.

— T’en aller tête nue sous ce soleil, bien sûr ! C’est