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LE RAISIN VERT

sions. Elle tiendra des palabres avec Marie dans la cuisine. Elle ira voir si le duvet de canard qu’elle a mis à sécher au soleil pour en faire des oreillers commence à perdre son humidité. Elle portera à manger à sa clientèle de chiens et de chats, et si elle rencontre la mère Daniel, la propriétaire, un vieux condor ridé aux yeux clairs et féroces sous sa coiffe de mousseline, elle s’amusera à lui faire raconter les histoires du « servant » qui embrouille la queue des juments, la nuit, s’il ne trouve dans l’écurie le bol de lait qui est la nourriture traditionnelle des lutins, et l’histoire du peintre qui avait demandé à Mme Daniel de poser pour lui dans la verdeur de ses soixante-quinze ans révolus, « et qui me regardait, Madame Durras, qui me regardait, que le feu m’en montait aux joues comme si j’avais été devant un poêle. »

Et puis, elle prendra l’arrosoir et le sécateur et elle s’occupera du jardin. Et Amédée sera là, allongé sur un transatlantique, les mains pendantes, la lèvre avancée, l’œil bleu et morne et criant de tout son corps, de toute son âme vacante : « Et moi ? Et moi ? »

— Flairez-moi ce parfum, dit Isabelle en lui passant prestement ses doigts sous le nez.

— Géranium, dit-il avec indifférence.

Le sécateur hacha les hampes fanées du massif de sauges. Les yeux levés, Amédée tâchait à noyer son ennui dans la voûte infinie du ciel pur et n’y parvenait pas.

— Il faudra que je dise à la mère Daniel qu’elle devrait faire élaguer ses figuiers. Son toit va pourrir si elle le laisse envahir par les branches.

— Eh ! répliqua-t-il avec un subit emportement, qu’est-ce que cela peut vous faire ! Dans deux mois, nous n’y serons plus, sous son toit, et que je sois pendu si je reviens jamais dans ce pays !