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LE RAISIN VERT

nant de pleurer, car le manque de civilité lui était fort pénible.

Le jardin vibrait et bourdonnait sous le soleil montant. Des chants aigus d’insectes tendaient dans l’espace des fils de musique. En les écoutant, Lise avait l’impression de s’amenuiser jusqu’à n’être plus elle-même qu’un fil de son tendu dans l’espace. Elle entra dans le jeu, se fit minuscule et le monde qui l’entourait prit un aspect fantastique.

Des monstres ailés s’engouffraient goulûment dans des couloirs d’ambre et de nacre, d’autres émergeaient, en ramant à force de pattes du fond des abîmes sucrés. Tout alourdis, ils s’élevaient enfin, avec leur faix de brosses, de scies barbares, empêtrés comme des grenadiers qui se seraient assis dans leur bonnet à poil. Debout sur l’air qui les portait, écartant leurs cuissots noirs, ils survolaient en grondant un paysage lunaire, aride et crevassé où les amazones rousses menaient la guerre en rase campagne. Et les fleurs du magnolia suspendaient au-dessus de ce chaos planétaire la féerique architecture de leurs palais blancs où dormaient des lacs de fraîcheur.

Il n’était besoin que d’un battement de cils pour que Lise retrouvât ses proportions. Mais elle conservait un émerveillement de cette profusion d’aventures, de délices et de dangers, et aussi, à l’égard du monde où elle se trouvait rétablie, un scepticisme aimable, la souriante bienveillance que les grandes personnes accordent aux dires d’un enfant. Car elle savait que, d’un instant à l’autre, ce monde ordinaire pouvait chavirer dans un autre monde. Spectatrice familière du surnaturel naturel, tout l’émerveillait sans jamais la surprendre.

Aussi, quand sa conversation avec Marie-Ja lui revint à l’esprit, se mit-elle à rire de bon cœur, et elle grimpa sur le mur en s’accrochant au treillis de la tonnelle, pour voir ce qu’était devenu, pendant son