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LE RAISIN VERT

pareilles à l’eau sur le sable, quand le soleil l’éclaire jusqu’au fond.

Le Corbiau ne put se retenir de sourire à ces yeux frappés de lumière qui lui riaient en passant. Et lorsqu’il se fut éloigné — prenant le bras de la vieille dame, là où le sentier devenait plus large — elle l’entendit qui disait :

— Avez-vous remarqué, maman, le sourire de cette petite fille ? Une expression ravissante.

« Pourquoi m’appelle-t-il une petite fille quand il parle de moi et une jeune fille quand il me parle à moi se demanda-t-elle ? C’était par moquerie, alors ? »

Inquiète, fâchée, elle continua de longer le sentier du bord de la falaise, jusqu’à la maison qu’elle voyait là-bas et d’où ces gens, sans doute, étaient sortis.

« Elle est bien distraite, cette jeune fille… » la phrase, le son de la voix, l’obsédaient. Un son de voix ironique, oui, oui, ironique. Il la jugeait donc bien enfantine, bien sotte ? Distraite… idiote, parbleu ! « Et c’est bien vrai que je suis idiote, il a raison. »

Une envie de pleurer, de se cacher, la susceptibilité torturante de la douzième année qui contracte le gosier, entrave la respiration, rend les mains moites et les oreilles brûlantes et empoisonne la mémoire d’un venin tenace.

Droite, les yeux élargis, serrant l’une contre l’autre ses lèvres rondes, elle regardait la maison grise, de style mi-normand, dont les baies vitrées de petits carreaux ouvraient sur la mer. Du côté de la terre, un auvent de bois brun protège un perron de trois marches, flanqué de plate-bandes d’hortensias roses que borde le feuillage argenté des cinéraires maritimes.

Le Corbiau se dit qu’elle devrait avoir une opinion sur cette maison. Elle n’en a aucune. La maison ne lui plaît ni ne lui déplaît. Il en est ainsi de beaucoup de choses, qui demeurent en marge de son jugement, comme si elle conservait toutes ses ressources pour