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LE RAISIN VERT

carbilles, de tessons et de vieilles boîtes de conserve.

L’odeur de la mer venait au-devant d’elle, par grands souffles brusques et quand elle eut tourné le dernier coude du sentier escarpé elle se trouva soudain en plein ciel, en plein vent, au plus haut de l’épaule rocheuse que l’ile soulevait hors des eaux bleues, alourdies de goémon.

La marée, ici, accourait du large, par longs rouleaux d’écume et d’eau courbe et frappait les rocs velus, pareils à des croupes de bisons sauvages, qui ruisselaient par toutes les pentes de leur toison d’algues, tandis que la vague reculait pour un nouvel assaut retentissant.

Longtemps, le Corbiau contempla ce spectacle monotone et fascinant, immobile au bord du sentier qui longeait la falaise.

Le rythme de la mer, le choc et le murmure de l’eau pesante et fluide emplissaient ses oreilles, lorsqu’une voix s’y mêla, une douce voix usée, qui disait : « Pardon, mademoiselle, je voudrais bien passer… »

Elle perçut cette parole humaine, sans la distinguer du bruit des éléments, et, répétant machinalement en elle les mots qu’elle venait d’entendre, oubliait de s’écarter pour laisser le passage. Il fallut, pour la rendre au sentiment de la réalité, que le bout d’une canne touchât doucement sa cheville nue, tandis qu’une voix plus timbrée que la première, s’écriait en riant :

— Elle est bien distraite, cette jeune fille !

— Oh ! pardon, dit le Corbiau en rougissant de confusion, et elle s’écarta pour livrer passage à la vieille dame qui avait parlé en premier et à son compagnon, un homme grand et mince, imberbe, sous des cheveux gris couchés en arrière, épais et brillants comme un plumage. Cette sorte de huppe argentée accentuait la transparente clarté de ses prunelles, dont on n’aurait su dire la couleur, tant elles étaient