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monde a été dénoncé par Marx comme une illusion, un prétexte aux appétits et aux intérêts de classe, comme un mensonge. Tout un Olympe s’écroulait, emportant avec lui tout un monde de vieilles conceptions. La violence concentrée et froide du Manifeste et du Capital produit un effet d’autant plus grand qu’elle paraît résulter d’une analyse scientifique subtile et rigoureuse accompagnée d’une érudition presque universelle.

Si l’on ajoute à tout cela la rapidité avec laquelle les théories de Marx, grâce à leur simplicité et à leur précision, se sont répandues dans toute l’Europe d’une part, et l’état d’enfance où se trouve encore la philosophie de l’histoire, la plus compliquée des sciences, que Pierre Lavroff après tant d’autres penseurs confondait souvent avec la sociologie d’autre part, on arrive à comprendre à peu près l’ensemble des raisons qui pouvaient amener notre penseur à s’incliner — en théorie — devant la philosophie de Marx, tout en lui opposant — juxtaposant serait plus juste — sa propre doctrine.


XII

Cependant, toutes ces raisons que je viens d’énumérer, ne sauraient transformer une théorie fausse en une théorie vraie. Le marxisme théorique traverse une crise. Quelques-uns disent même que c’est « une débâcle ». À ses ennemis de l’extérieur — aux critiques bourgeois et antisocialistes — se joignent ceux que l’on peut appeler les ennemis de l’intérieur, des socialistes, voire même des anciens marxistes. Actuellement, il n’y a pas une partie de la doctrine marxiste qui reste tout à fait intacte. Les uns critiquent les théories de la valeur et de la concentration capitaliste. Les autres la conception de la lutte des classes. D’autres encore la dialectique et la philosophie de l’histoire. Pour ma part je crois les deux dernières parties — la dialectique et la conception matérialiste de l’histoire — les plus faibles, les plus attaquables. Elles peuvent disparaître sans nuire aucunement à la précision et à la solidité de la conception socialiste, que Marx a contribué à former pour une part si considérable. Le socialisme, en élargissant et en renouvelant ses bases théoriques, ne peut qu’y gagner sous tous les rapports. Toute erreur théorique doit devenir une source de faiblesse pour le parti socialiste, un obstacle à telle ou telle forme de son action pratique. Même les exagérations, même les paradoxes et l’absurde, peuvent avoir leur utilité passagère, souvent seulement apparente. Au demeurant, il n’y a que la vérité, la vérité complète et entière, qui éclaire notre chemin à suivre, qui soit notre