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vons pas écrire l’histoire sans faire un choix des événements, conditionné également par notre point de vue subjectif. Partout l’homme intervient. Partout ses besoins impérieux laissent leur trace ineffaçable : sa pensée critique et juge les formes sociales. Il réclame leur transformation au nom de ses besoins, de ses aspirations, de ses convictions morales. Les masses sont des ensembles d’individus agissant collectivement. Si celui qui les mène les influence et les persuade, c’est parce que les individus qui les composent, souffrent des maux de la société. Elles ont cet avantage sur celui qui se met à leur tête qu’elles connaissent mieux leurs souffrances, les ayant vécues.

On voit que Karl Marx et Pierre Lavroff parlent deux langues différentes. Quelle est la meilleure ? Se contredisent-elles ? Nous réservons la solution pour une autre occasion. Pour le moment je ne cherche qu’à marquer la différence profonde qui existe entre ces deux penseurs socialistes. Tous deux pourtant cherchent à donner une base scientifique au socialisme.


IX

Quel est le mobile qui nous pousse vers le socialisme ? Ici encore Karl Marx et Pierre Lavroff diffèrent. Pour Marx, c’est la lutte des classes, la lutte inévitable et fatale du prolétariat contre le capital concentré dans les mains d’un petit nombre d’exploiteurs. C’est aussi la contradiction flagrante qui existe entre la production collective de l’usine moderne et l’appropriation individuelle par le patron capitaliste. L’usine unit et organise les travailleurs avant qu’ils s’unissent et s’organisent sous le drapeau socialiste.

Pierre Lavroff ne contredit pas Marx sur ce point, mais il se place sur un autre terrain. Nous avons vu, dans sa morale, comment il fonde les revendications socialistes sur l’incompatibilité de la dignité humaine avec le régime d’exploitation basé sur le système de la propriété privée.

C’est notre conviction morale qui réclame la suppression de la lutte de tous contre tous et son remplacement par un régime de coopération universelle en vue du développement universel.

En un mot, le principe de la dignité de l’homme est le fondement de la conception socialiste de Pierre Lavroff. On peut donc dire que pour Marx c’est la théorie de la valeur des objets inanimés, dévoilant le secret de l’accumulation capitaliste, qui est la pierre angulaire du socialisme, tandis que pour Pierre Lavroff c’est la théorie de la valeur humaine qui est la base de l’idéal socialiste. Chez l’un, c’est la chose