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d’amour universel, ne s’opposait pas aux bûchers érigés pour les hérétiques, ni aux tortures de la hideuse Inquisition. Les idées de Liberté, d’Égalité et de Fraternité n’ont pas empêché non plus l’exploitation capitaliste avec tout qui s’ensuit.

De là une méfiance profonde contre les idées générales dans le domaine moral.


II

Il y a une autre raison de cette méfiance qui joue un rôle important dans l’évolution de la société moderne.

Les discussions sans fin des subtils scolastiques et les constructions arbitraires et contradictoires des nombreuses écoles métaphysiques des dix-septième, dix-huitième siècles et de la première moitié du nôtre, ont créé ce qu’on peut appeler l’horreur du vide, l’horreur pour toute abstraction privée d’un fonds réel, — un véritable horror vacui. De là méfiance des idées générales dans le domaine scientifique, confirmant et complétant cette même méfiance dans celui de la morale.

Les sciences naturelles, avec leurs méthodes exactes, qui ont un souci constant des faits bien établis, ont produit une réaction durable et sérieuse aux méthodes aprioristiques de la période précédente. Elles ont mis un terme au règne de l’abstrait. Les sciences sociales et morales ont cherché à les imiter. On s’appliquait à déterminer « les lois naturelles » de l’évolution sociale. Ces tentatives étaient on ne peut plus justifiées par le caractère même de l’évolution de la pensée humaine. Car on peut considérer comme une loi de cette évolution le fait que les sciences les plus développées dictent leurs méthodes aux sciences naissantes ou moins développées. C’était le cas des sciences mathématiques à l’époque de leur plus grand épanouissement au dix-septième siècle. C’était également celui des sciences naturelles au dix-neuvième. Dans ces deux cas, nous avons vu les sciences pour ainsi dire plus riches, prêter aux sciences moins favorisées leurs règles d’investigation, leurs instruments de travail.

Cette transmission des méthodes scientifiques a donné naissance à deux écoles sociologiques, à la théorie de la société organisme et à l’objectivisme marxiste, ce dernier se compliquant par l’influence de la philosophie hégélienne. Malgré leurs différences, ces deux écoles, les plus importantes de la science sociale contemporaine, se ressemblent par leurs tendances objectivistes. Les deux proclament la subordination absolue et constante de l’homme aux faits naturels ou sociaux. L’homme ne gouverne pas. Il est gouverné par les lois de la nature ou de l’évolution historique. De roi de la création il en devient le sujet plus ou