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qui n’ont pas intérêt à voir ne voient pas. Les beati possidentes gardent avec jalousie leurs situations acquises, cherchent à en conquérir de nouvelles et à détruire toute possibilité de résistance des classes opprimées. L’ordre devient synonyme de la conservation de ce qui est. La probabilité d’une transformation pacifique est donc nulle. Et les classes opprimées commencent à croire que cette transformation ne se fera qu’à l’aide d’une révolution sociale.

Ce principe a été introduit par Babeuf. Avec lui une nouvelle période commence dans le socialisme, la période du socialisme révolutionnaire. Depuis, l’idée de la révolution sociale se répand dans toute l’Europe et grandit à chaque révolution politique.

Il y a pourtant des pays où la révolution laisse place à quelques atténuations. En Angleterre, le prolétariat peut profiter des luttes entre l’aristocratie terrienne et la bourgeoisie industrielle pour s’emparer de quelques positions avantageuses. En France, la lutte pour le pouvoir forcera le parti radical à introduire dans son programme des revendications socialistes. Avec l’arrivée au pouvoir des éléments d’un radicalisme accentué, le parti socialiste gagnera un terrain de plus en plus solide pour son action[1]. Enfin une propagande énergique des idées socialistes sur une base scientifique forcera les éléments les plus développés, les intellectuels de la bourgeoisie à passer dans le camp des adversaires sincères et convaincus des classes dominantes.

Mais tout cela ne fera que préparer la bataille décisive. Au moment où la classe ouvrière suffisamment organisée et consciente réclamera l’abolition de la propriété-monopole, toutes les classes qui vivent du travail des autres cesseront de se combattre et feront un bloc pour s’opposer, au nom de leurs intérêts communs, au socialisme révolutionnaire. Le nombre des intellectuels-transfuges des classes dominantes sera trop insignifiant pour compenser cette résistance. La lutte des classes sera d’autant plus violente que l’évolution économique sera plus avancée, que les classes dominantes profiteront d’une situation plus avantageuse et que leur conscience de classe se trouvera plus développée.


XII

Il y a d’autres conditions qui préparent l’avènement de la société socialiste. C’est l’organisation des forces socialistes, l’unité de son action, d’une part, et la désorganisation, la démoralisation des forces ennemies, de l’autre. En outre, tout ce qui fait ressortir la netteté,

  1. Cela a paru en 1885.