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miques et autres. Mais encore ici nous sommes loin de la coopération universelle en vue du développement universel. La concurrence des intérêts de toute sorte domine la vie des nations divisées en classes. Le droit des gens constitue une trêve, qu’il ne faut pas confondre avec la paix définitive.


IV

Dans le sein des nations plus ou moins civilisées, nous constatons des tentatives multiples en vue d’établir une solidarité universelle, des tendances universalistes. Le premier représentant des tendances universalistes, c’est le sage antique, le philosophe. La philosophie crée l’union des hommes faisant oublier leur origine, les différences des races, des pays et des langues. Mais cette première tendance universaliste n’a pas de lendemain. Le sage est un isolé. Il vit hors du peuple. Son action sur lui est donc nulle.

La seconde tentative universaliste se fait par l’État conquérant, imposant le même joug unitaire aux peuples vaincus. L’État rêve la domination universelle et partant l’unité universelle. À l’aide des juristes, il crée l’unité de la loi obligatoire pour tous, « la raison écrite ». Les juristes oubliaient pourtant que cette unité juridique ne peut être qu’éphémère en face des inégalités économiques. La « coopération universelle en vue de développement universel » est une chose impossible, là où la loi laisse intacte l’exploitation de la majorité des travailleurs par la minorité des possédants et des dirigeants.

Plus importante encore était la tentative universaliste des grandes religions. Les antagonismes provoqués par l’intérêt, semblait-il, cédaient le pas à la solidarité des hommes basée sur la solidarité des croyances. Le succès de cette tentative universaliste paraissait d’autant plus assuré que la superstition religieuse correspondait pleinement à l’état inférieur du développement intellectuel des masses populaires. L’unité du dogme, l’unité d’Église, l’unité du culte, ce sont là autant d’éléments de solidarité, au moins apparente. La tentative religieuse devait pourtant échouer. Et voici pourquoi. La passion religieuse ne peut devenir d’une manière constante un motif d’action que pour une minorité d’élite. La coutume religieuse d’une société aux intérêts opposés reflète nécessairement cet antagonisme des intérêts. Sous le masque des dogmes, les intérêts entrent en lutte. Le bouddhisme compte dans son sein des sectes par centaines. Le même phénomène se reproduit dans le christianisme. Le moine retiré du monde, le pauvre curé d’une paroisse et le riche évêque — grand propriétaire, ne se trouvent pas réconciliés dans l’unité de l’Église. Leurs intérêts sont et demeurent