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point de départ l’individu, ses besoins et ses aspirations ; mais elle est sociale par les moyens de sa réalisation et surtout parce que Lavroff ne considère que l’individu qui vit et agit dans la société, à l’aide de la société et, dans son propre intérêt, pour la société.

La morale de Pierre Lavroff est profondément et franchement révolutionnaire. Et cela pour deux raisons : D’abord elle ne se contente pas de juger au nom de ses principes l’individu comme individu, mais elle juge la société elle-même. Elle examine l’ordre social établi, le déclare immoral parce qu’il ne correspond pas à notre idéal — devenu devoir — du développement progressif et universel, et se fait une obligation de le combattre. Elle demande donc un changement radical du système social établi, ne se contentant pas des réformes partielles, ce qui caractérise tout système révolutionnaire. Elle est également révolutionnaire parce qu’elle réclame, en cas de besoin, la nécessité de combattre l’injustice sociale par le moyen de la violence.

Cette morale est humanitaire parce qu’elle n’a qu’un but, notamment de mettre un terme aux souffrances sans nombre de l’humanité actuelle. Les souffrances que causerait la lutte la plus acharnée contre la société actuelle sont infimes en comparaison avec les souffrances dont l’humanité est accablée à présent.

La morale de notre penseur est scientifique et rationaliste ; quant à la méthode, Lavroff n’invoque aucun dogme et se base exclusivement sur des faits faciles à vérifier. Il fait l’homme lui-même juge et maître de ses actions. Il ne le sacrifie pas à je ne sais quelle divinité, comme le fait toute morale religieuse, qui abaisse ainsi la dignité humaine et fait que toute morale s’appuyant sur la religion est profondément immorale. Car l’homme alors n’agit moralement que par ordre.

La dignité humaine, la dignité personnelle est un fait dont nul ne saurait nier la réalité. La critique ne peut porter que sur le point de savoir si toute la morale individuelle et sociale peut être déduite de ce principe d’une importance incontestable.

Scientifique, la morale de Pierre Lavroff ne peut pas ne pas être évolutionniste. En effet, le principe du développement progressif n’est autre chose que l’évolution considérée sous sa face humaine et subjective. Voilà pourquoi on peut dire que la morale de Lavroff est évolutionniste comme celle de Herbert Spencer, et perfectionniste comme celle de Leibnitz et de Malebranche.

Il nous reste à exposer la conception socialiste de Pierre Lavroff et à donner notre conclusion d’ensemble sur l’œuvre du grand penseur russe.