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aboutir à l’indifférence morale, indépendamment des sentiments personnels incontestablement élevés et sincèrement révolutionnaires de ce fondateur génial du socialisme scientifique.


II

Comme dans sa philosophie de l’histoire et dans sa sociologie, Pierre Lavroff appliquait dans sa morale une méthode tout à fait différente pour ne pas dire opposée à celle que nous venons de caractériser. Ce sont les besoins de l’individu — et non ceux du groupe social ou de la classe — qui déterminent sa conception et sa conduite morales. Si pour Marx l’histoire est un système des causes et des effets, elle est considérée par Pierre Lavroff surtout comme un ensemble de fins et de moyens. Il y a deux moteurs principaux qui déterminent et dirigent notre action. C’est d’abord notre conscience. C’est ensuite notre « besoin d’activité créatrice », ou le « besoin de création », ou plus simplement : notre besoin d’action. La conscience est le fait primordial, la source unique de notre développement intellectuel et moral. C’est le fait dominant toute science, toute action pratique. Nous ne savons que ce qui est présent à notre conscience. Nous n’appelons « nos » actes que celles de nos actions dont nous avons la conscience nette. Dans cette conscience, l’homme trouve comme un fait qui ne se laisse pas éliminer, la notion de sa liberté, de sa responsabilité morale devant lui-même et devant la société. Ce fait est d’ordre subjectif, mais il nous est nécessaire, et nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte, comme nous ne pouvons renoncer à compter les heures sous prétexte que le soleil reste immobile et que ce qui est le jour et la nuit ne sont que des illusions des sens.

L’homme réagit par l’action contre les impressions qu’il reçoit de son milieu. Ces actions ont une signification et une valeur différentes. Grâce au développement supérieur de son cerveau, il compte parmi ses actions, en dehors des actions réflexes et instinctives, les actions provoquées par la réflexion, par la conscience nette et claire des motifs, en un mot par ce qu’on appelle des actes. Chacun de nos actes implique une fin pour la réalisation de laquelle nous avons recours à un moyen déterminé. Tous les buts que nous nous proposons sont provoqués par la recherche de l’agréable et par le désir d’éviter ce qui lui est contraire. C’est le besoin de jouissance qui détermine en dernier lieu notre action. Dans la pratique, ce besoin fondamental revêt la forme de motifs très variés. C’est d’abord la coutume sociale ou l’habitude individuelle. C’est, en seconde ligne, la passion, le sentiment. Vient, en troisième, la considération de l’utilité, l’acte calculé. Et en