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II

LA MORALE SOCIALISTE


I

Le problème de l’individu — nous l’avons vu dans notre étude précédente — domine la philosophie de l’histoire et la sociologie de Pierre Lavroff. Il est aussi le point de départ, on peut dire l’âme même, de sa morale, la partie la plus développée et la plus originale de sa doctrine. Mais ici une question préalable se pose impérieusement devant nous. Et il est de toute nécessité de l’élucider avant de procéder à l’exposition des idées morales de notre penseur. Est-il vraiment nécessaire et utile pour le socialisme d’avoir un système d’idées morales ? Avons-nous besoin d’une morale socialiste ? Je n’hésite pas à répondre par l’affirmative. Est-ce que les socialistes ne sont pas des hommes, c’est-à-dire des êtres éminemment sociables et nécessairement sociaux, partant des êtres moraux ? Comme tels, ils ont besoin d’une théorie de conduite fondée sur des principes moraux qui, en dernière analyse, se réduisent aux principes de la conservation individuelle et sociale. En d’autres termes, ils ont besoin d’une morale. On n’a pas encore vu jusqu’ici de sociétés sans morale. Une société d’immoralistes, ou même d’amoraux absolus, un groupe humain composé de Nietzschéens pratiquants — les phraseurs de l’immoralité ne comptant pas — paraît être une véritable chimère, une impossibilité matérielle. Comme la morale se trouve intimement liée à notre instinct de conservation individuelle et sociale, elle est basée sur des faits irréductibles. Seul un véritable ennemi du genre humain ou un pessimiste à la Édouard Hartmann, qui rêverait la destruction de l’humanité ad majorem gloriam de son système philosophique, pourrait devenir sérieusement un adversaire systématique et conséquent de la morale. Même les partisans du laissez-faire les plus aveugles ne sont pas allés jusqu’à la tolérance des