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gique et métaphysique qui, à son époque, régnait en souverain dans l’histoire et la politique et à en chasser l’arbitraire, « Sa Majesté le Hasard » (Frédéric le Grand). Cette œuvre accomplie, il fallait déterminer le caractère spécifique, sui generis, de la loi sociale. Pierre Lavroff s’est appliqué à résoudre ce problème.

Contrairement à Auguste Comte, Pierre Lavroff fait une distinction, très justifiée, me semble-t-il, entre l’histoire ou la philosophie de l’histoire et la sociologie. Cette distinction est très importante. Presque tous les écrivains et les sociologues identifient la philosophie de l’histoire avec la sociologie, suivant en cela les traces d’Auguste Comte, le fondateur de la statique et de la dynamique sociales, termes qu’il emploie pour philosophie de l’histoire. Encore tout dernièrement, Paul Barth, un savant allemand, publiait un ouvrage assez considérable sous le titre caractéristique : La philosophie de l’Histoire comme sociologie (1897). Lavroff évite cette confusion. Il définit la sociologie une science qui a pour objet la solidarité, les conditions de son développement et de sa décroissance. Tandis que l’histoire étudie l’évolution humaine dans sa totalité, la sociologie étudie la forme sociale, l’organisation de la société. L’histoire s’occupe de l’individu dans la société, de l’évolution intégrale de l’individu et de la société.


IV


Pour bien comprendre la doctrine de Lavroff, il est nécessaire d’indiquer quel sens il donne au terme « histoire ».

Lavroff établit une distinction importante entre la vie historique ou l’histoire, et ce qu’il appelle la culture coutumière ou simplement la culture. La vie historique ne commence qu’avec le développement de la conscience individuelle, lorsque une minorité d’intellectuels soumet à une critique réfléchie les éléments de la tradition historique et cherche à les transformer dans le sens de la vérité et de la justice, ou de ce qu’elle croit dans sa conviction réfléchie comme telles. L’histoire, c’est le règne de la pensée critique d’une minorité d’élite. Par contre, dans le domaine de la culture prédomine la tradition ou la coutume. Sont restés hors de l’histoire tous les individus, tous les groupes sociaux ou tous les peuples qui n’ont pas pu s’élever au-dessus de la tradition et de la coutume, les soumettre à une critique rationnelle et chercher à les transformer dans un sens rationnel. Même dans notre société dite civilisée, il se trouve des individus et des classes entières qui sont fatalement condamnés, ou par leur situation sociale et économique, ou par leurs habitudes d’esprit, à rester hors de la vie historique.