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S’arrache les cheveux, s’agite, se tourmente,
Et, couché sur le ventre, ou roulant sur le dos,
De l’ami de Patrocle imite les sanglots.
Qu’a-t-il donc ? d’où lui vient cette rage obstinée ?
Il n’a battu personne encor de la journée,
Et s’il ne trouve enfin à qui rompre les bras,
Mécontent de lui-même, il ne dormira pas.
Il en est qu’au sommeil ce prélude dispose.
En aveugle pourtant ne crains pas qu’il s’expose,
Ni qu’il aille attaquer celui dont les faisceaux,
La pourpre, le cortège et les nombreux flambeaux,
Tout querelleur qu’il est, lui conseillent la fuite.
C’est à moi qu’il en veut, à moi qu’il voit sans suite,
Eclairé par la lune ou ma lanterne en main,
D’un air tranquille et doux, suivre en paix mon chemin.
Veux-tu savoir comment notre débat s’engage,
S’il faut nommer débat un assaut plein de rage,
Ou sans cause entre nous la discorde éclatant,
L’un est le seul battu, l’autre le seul battant ?
D’abord les yeux hagards, la menace à la bouche :
— Halte-là, me dit-il d’un air sombre et farouche.
À ce brusque discours, saisi, glacé d’effroi,
J’obéis ; car enfin il est plus fort que moi.
D’où viens-tu ? poursuit-il d’un ton plus redoutable ;
Quel savetier t’a fait les honneurs de sa table ?
Qui t’a gonflé de choux et gorgé de poireaux ?
Tu ne dis rien ! réponds, ou… le pied suit ces mots.
Parle donc ? en quel bouge as-tu ton domicile ?
Quelle est la synagogue où l’on te donne asile ?
Je réplique ou me tais, c’est tout un ; le brutal
Frappe encor, puis se fâche et court au tribunal.
Et moi, pour éviter un destin plus funeste,
Pour garder de mes dents la moitié qui me reste,
Meurtri, roué de coups, l’implore sa bonté.
Du pauvre, en ce pays, telle est la liberté !